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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Il s’attendait à cette récompense ; aussi ne fut-il point étonné de recevoir cette lettre :

« 6 messidor an ii.
» Citoyen général,

» Tu es invité à quitter à l’instant même l’armée des Alpes, et à te rendre à Paris, pour répondre aux accusations dont tu es l’objet.

» Collot d’Herbois. »

Les accusations, ou plutôt l’accusation sur laquelle mon père avait à répondre était celle-ci :

Mon père était entré par un temps très-rigoureux dans le petit village de Saint-Maurice. La première chose qu’il avait aperçue sur la grande place de ce village, c’était une guillotine toute dressée et prête à fonctionner.

Il s’était informé, et avait appris qu’on allait exécuter quatre malheureux, coupables d’avoir essayé de soustraire à la fonte la cloche d’une église.

Le crime n’avait point paru à mon père digne de mort, et, se retournant vers le capitaine Dermoncourt, qui devait bientôt devenir son aide de camp :

— Dermoncourt, lui avait-il dit, il fait très-froid, comme tu le vois, et comme tu peux même le sentir ; nous ne trouverons peut-être pas de bois à l’endroit où nous allons ; fais donc démolir et emporter cette vilaine machine peinte en rouge que tu vois là-bas, et nous nous chaufferons avec.

Dermoncourt, habitué à l’obéissance passive, avait obéi passivement.

Cette opération, exécutée avec une rapidité toute militaire, embarrassa beaucoup le bourreau, qui avait quatre hommes à guillotiner et qui n’avait plus de guillotine.

Ce que voyant mon père, il eut pitié du pauvre homme, prit les quatre prisonniers, lui en donna un reçu, et les invita à gagner le plus vite possible la montagne.

Les prisonniers, comme on le pense bien, ne se le firent pas dire deux fois.