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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

fage de la guillotine de Saint-Maurice, Saint-Georges se présenta chez lui, et, sur l’annonce de l’indisposition qui le retenait au lit, allait se retirer en laissant sa carte à son tour, lorsque Dermoncourt, qui avait fort entendu parler de lui, voyant un mulâtre admirablement bel homme et qui bégayait en parlant, reconnut Saint-Georges, et, allant à lui :

— Ah ! monsieur de Saint-Georges, lui dit-il, c’est vous !… Ne vous en allez pas, je vous prie ; car, tout malade qu’il est, le général est homme à courir après vous, tant il a hâte de vous voir.

Saint-Georges prit à l’instant même son parti.

— Oh ! ce cher Dumas, s’écria-t-il, je crois bien qu’il a désir de me voir ; et moi donc ! nous avons toujours été si bons amis. Où est-il ? où est-il ?

Et, s’élançant dans la chambre, il alla se jeter sur le lit, prit mon père dans ses bras, le serrant à l’étouffer.

Mon père voulut parler ; mais Saint-Georges ne lui en laissa point le temps.

— Ah çà ! mais, lui dit-il, tu voulais donc me tuer ? me tuer, moi ? Dumas, tuer Saint-Georges ? Est-ce que c’est possible ? mais est-ce que tu n’es pas mon fils ? est-ce que, quand Saint-Georges sera mort, un autre que toi peut le remplacer ? Allons vite, lève-toi ! Fais-moi servir une côtelette, et qu’il ne soit plus question de toutes ces bêtises-là ! Mon père était fort décidé d’abord à pousser l’affaire à fond ; mais que dire à un homme qui se jette sur votre lit, qui vous embrasse, qui vous appelle son fils, et qui vous demande à déjeuner ?

Ce que fit mon père ; il lui tendit la main en disant :

— Ah ! brigand, tu es bien heureux que je sois ton successeur comme tu dis, au lieu d’être celui du dernier ministre de la guerre ; car je te donne ma parole que je te ferais pendre.

— Oh ! guillotiner au moins, dit Saint-Georges en riant du bout des lèvres.

— Non pas, non pas ; ce sont les honnêtes gens que l’on guillotine à cette heure ; mais les voleurs, on les pend.