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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 10.djvu/128

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

ternité s’étend à tout pays qui souffre, à toute nation qui se réveille ; ils ont été verser leur sang en Belgique, en Italie, en Pologne, ét sont revenus se faire tuer ou prendre au cloître Saint-Merri : ceux-là, madame, ce sont les puritains et les martyrs. Un jour viendra où non-seulement on rappellera ceux qui sont exilés, où non-seulement on ouvrira les prisons de ceux qui sont captifs, mais encore où l’on cherchera les cadavres de ceux qui sont morts, afin de leur élever des tombes. Tout le tort que l’on peut leur reprocher, c’est d’avoir devancé leur époque, et d’être nés trente ans trop tôt. Ceuxlà, madame, ce sont les vrais républicains.

» — Je n’ai pas besoin de vous demander, me dit la reine, si c’est à ceux-là que vous appartenez.

» — Hélas ! madame, lui répondis-je, je ne puis pas me vanter tout à fait de cet honneur… Oui, certes, à eux toutes mes sympathies ; mais, au lieu de me laisser emporter à mon sentiment, j’en ai appelé à ma raison ; j’ai voulu faire pour la politique ce que Faust a fait pour la science : descendre et toucher le fond. Je suis resté un an plongé dans les abîmes du passé ; j’y étais entré avec une opinion instinctive, j’en suis sorti avec une conviction raisonnée. Je vis que la révolution de 1830 nous avait fait faire un pas, il est vrai, mais que ce pas nous avait conduits tout simplement, de la monarchie aristocratique, à la monarchie bourgeoise, et que cette monarchie bourgeoise était une ère qu’il fallait épuiser avant d’arriver à la magistrature populaire. Dès lors, madame, sans rien faire pour me rapprocher du gouvernement, dont je m’étais éloigné, j’ai cessé d’en être l’ennemi ; je le regarde tranquillement poursuivre sa période, dont je verrai probablement la fin ; j’applaudis à ce qu’il fait de bon ; je proteste contre ce qu’il fait de mauvais ; mais, tout cela, sans enthousiasme et sans haine. Je ne l’accepte ni ne le récuse : je le subis ; je ne le regarde pas comme un bonheur, mais je le crois une nécessité.

» — Mais, à vous entendre, il n’y aurait pas de chance pour qu’il changeât.

» — Non, madame… pendant longues années du moins.