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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 10.djvu/140

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

eu, on se le rappelle, une grande influence sur les débuts de ma vie littéraire.

Après avoir commencé par préférer Pigault-Lebrun à Walter Scott, et Voltaire à Shakspeare, — double hérésie dont m’avait fait revenir mon bien cher Lassagne, qui, depuis que je vous ai parlé de lui, est allé où sont allés une partie de mes amis ; — après avoir, dis-je, préféré Pigault-Lebrun à Walter Scott, j’en étais venu à des idées plus saines, et non-seulement j’avais lu tous les romans de l’auteur écossais, mais encore j’avais essayé de tirer deux drames de ses œuvres : le premier, on le sait, avec Frédéric Soulié ; le second, tout seul. Ni l’un ni l’autre n’avaient été joués, et ni l’un ni l’autre n’étaient jouables.

Les qualités de Walter Scott ne sont point des qualités dramatiques ; admirable dans la peinture des mœurs, des costumes et des caractères, Walter Scott est complètement inhabile à peindre les passions. Avec des mœurs et des caractères, on peut faire des comédies ; mais il faut des passions pour faire des drames.

Le seul roman passionné de Walter Scott, c’est le Château de Kenilworth ; aussi est-ce le seul qui ait fourni un drame à grand succès ; et encore les trois quarts du succès étaient-ils dus au dénoûment qui était mis en scène, et qui jetait brutalement aux yeux du public le spectacle terrible de la chute d’Amy Robsart dans le précipice.

Mais mon travail sur Walter Scott ne m’avait pas été inutile, tout infructueux qu’il était resté ; on ne connaît la structure de l’homme qu’en ouvrant des cadavres ; on ne connaît le génie. d’un auteur qu’en l’analysant. L’analyse de Walter Scott m’avait fait comprendre le roman sous un autre point de vue qu’on ne l’envisageait chez nous. Une même fidélité de mœurs, de costumes et de caractères, avec un dialogue plus vif et des passions plus réelles, me paraissait être ce qui nous convenait.

C’était ma conviction : mais j’étais loin de me douter encore que j’essayerais de faire pour la France ce que Walter Scott avait fait pour l’Écosse. Je n’avais encore publié que mes Scè-