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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 10.djvu/139

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

été complète ; il ne me restait plus un lambeau de chair sur les os.

Je rencontrai Véron, qui me fit, à l’endroit de mon immoralité, une mercuriale dont je me souviendrai toujours. Il m’avait demandé quelque chose pour la Revue de Paris, qu’il dirigeait ; mais, après le Fils de l’Émigré, il n’y avait plus moyen de mettre mon nom en compagnie de celui d’honnêtes gens.

Je rencontrai aussi plusieurs directeurs de théâtre qui, en mon absence, étaient devenus myopes, et qui ne me reconnurent pas.

J’ai eu deux ou trois fois de ces baisses-là dans ma vie, — sans compter celles qui m’attendent encore ; — je me suis toujours relevé, Dieu merci ! et j’espère que, le cas échéant, Dieu me fera encore la même grâce. Ma devise de fantaisie est : J’ayme qui m’ayme, et je pourrais parfaitement ajouter : Je ne hais pas qui me hait  ; mais notre devise de famille est : Deus dedit, Deus dabit. (Dieu a donné, Dieu donnera.)

Je renonçai donc pour le moment au théâtre. .

D’ailleurs, j’avais mon livre de Gaule et France qui était commencé, et que je voulais finir.

C’était une chose singulière que l’exécution de ce livre : j’apprenais moi-même pour apprendre aux autres ; mais j’avais un grand avantage : c’est qu’en allant au hasard à travers l’histoire, il m’arrivait ce qui arriverait à un homme qui ne connaîtrait pas son chemin, et qui serait perdu dans une forêt ; il est perdu, c’est vrai, mais découvre des choses inconnues, des abîmes où personne n’est descendu, des hauteurs où personne n’a gravi.

Gaule et France est un livre d’histoire plein de défauts ; mais il se termine par la plus étrange prophétie qui ait jamais été imprimée seize ans à l’avance. Nous le verrons en son lieu et place.

Vers la fin de septembre, on avait appris en France la mort de Walter Scott. Cette mort fit sur moi une certaine impression ; non que j’eusse l’honneur de connaître l’auteur d’Ivanhoe et de Waverley ; mais la lecture de sir Walter Scott avait