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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 10.djvu/146

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

S’il en est ainsi, et qu’il m’arrive quelque chose d’heureux, son affaire est bonne ; il fera son chemin !

Parvenue en face du Bouffai, la duchesse se sentit frapper sur l’épaule. Elle tressaillit et se retourna. La personne qui venait de se permettre cette familiarité était une bonne vieille femme qui, ayant déposé à terre son panier de pommes, ne pouvait seule le replacer sur sa tête.

— Mes enfants, dit-elle à la duchesse et à mademoiselle de Kersabiec, aidez-moi à recharger mon panier, et je vous donnerai à chacune une pomme.

Madame s’empara aussitôt d’une anse, fit signe à sa com pagne de prendre l’autre, et le panier fut replacé en équilibre sur la tête de la bonne femme, qui s’éloignait sans donner la récompense promise ; mais la duchesse ; l’arrêtant par le bras :

— Dites donc, la mère !… et ma pomme ? demanda-t-elle. La marchande la lui donna ; Madame la mangeait avec un appétit aiguisé par trois lieues de marche, lorsque, en levant la tête, ses yeux tombèrent sur une affiche portant en grosses lettres ces trois mots : État de siège.

C’était l’arrêté ministériel qui mettait quatre départements de la Vendée hors de la loi commune. La duchesse s’approcha de cette affiche, la lut tranquillement d’un bout à l’autre, malgré les instances de mademoiselle de Kersabiec, qui la pressait de gagner la maison où l’on devait la recevoir ; mais Madame lui lit observer que la chose l’intéressait assez pour qu’elle en prit connaissance.

Enfin, elle se remit en route ; quelques minutes après, elle arriva dans la maison où elle était attendue, et où elle déposa son costume couvert de boue, que l’on y conserve comme un souvenir de cet événement. Bientôt elle quitta ce premier refuge pour se rendre chez les demoiselles Duguigny, rue Haute-du-Château, no 3.

L’exposition de la maison Duguigny était agréable : elle donnait sur les jardins du château, et, au delà, sur la Loire et les prairies qui la bordent. C’est là qu’on lui avait préparé une chambre, et, dans cette chambre, une cachette. La chambre n’était autre chose qu’une mansarde au troisième