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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 10.djvu/156

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

gistrat devait arriver. L’autorité, qui avait vu l’enthousiasme général, et qui avait craint de l’arrêter dans sa première impulsion, se contenta d’envoyer à M. Maurice Duval un officier d’état-major qui le prévint de la réception qu’on lui ménageait. M. Maurice Duval, profitant de l’avis, envoya sa voiture toute seule, et entra en ville incognito. Il donna ainsi momentanément le change à ses incommodes visiteurs.

Néanmoins, le bruit se répandit aussitôt que le préfet était descendu à l’hôtel de France, place de la Comédie. Les charivariseurs firent irruption sur cette place ; mais elle était trop petite pour les contenir tous : le corps seul des musiciens, comme une de ces grosses araignées-tarentules, s’entassa sur la place, et étendit ses pattes par toutes les rues aboutissantes ; c’était un carillon à faire sauter la cervelle à un sourd ! Des personnes dignes de foi, qui habitaient à deux lieues de la ville, affirmèrent depuis, sur leur honneur, avoir entendu le vacarme ; cela n’est pas étonnant : il y avait peut-être dix mille musiciens, cinq mille de plus que n’en avait Néron, qui, comme on sait, faisait grand cas de la mélodie. Au plus fort du concert, un homme à pied fendit le flot populaire, faisant de vains efforts pour entrer à l’hôtel de France, dont les portes étaient fermées ; il fut forcé de se mêler aux cbarivariseurs, et de faire chorus avec eux : cet homme, c’était M. Maurice Duval.

Le lendemain, il prit possession de la préfecture. La nouvelle de son installation donna aux musiciens la certitude que, du moins, leurs frais ne seraient pas perdus pour celui qui en était l’objet. En conséquence, vers les cinq heures, l’orchestre s’organisa sur la place de la Préfecture ; il était plus nombreux et plus bruyant encore que la veille ! mais, comme notre caractère français se lasse bientôt de tout, même d’un charivari, le troisième jour, une assez grande quantité de musiciens manquèrent à l’appel.

C’est alors que l’autorité crut pouvoir mettre fin à la sérénade. Entre six et sept heures du soir, des pelotons de gendarmerie et d’infanterie de ligne débouchèrent sur la place, en s’emparant des rues aboutissantes. Les concertants pensè-