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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 10.djvu/155

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

fut nommé préfet de la Loire-Inférieure. Cette nomination impopulaire, la brutale destitution de M. de Saint-Aignan, la manière même dont celui-ci reçut la nouvelle de son remplacement, exaltèrent les esprits nantais ; de plus, M. Maurice Duval arrivait précédé de sa réputation grenobloise ; — une seule de ces raisons eût suffi pour lui valoir un charivari ordinaire : toutes ces raisons lui en valurent un que, sous le gouvernement des majorités, on pouvait appeler le roi des charivaris.

Ce fut le 19 octobre que se répandit à Nantes la nouvelle de la destitution de M. de Saint-Aignan, et de la nomination de M. Maurice Duval, qui devait arriver le même jour, mais qui n’arriva que le lendemain 20. Aussitôt, les dispositions les plus hostiles se manifestèrent. Ceux qui avaient des instruments de vacarme tels que poêlons, crécelles, sifflets, porte-voix de mer, qui s’entendent à plus d’une lieue, etc., etc., mirent instinctivement la main dessus ; ceux qui n’en avaient pas coururent en emprunter chez leurs amis ; ceux, enfin, qui n’avaient ni instruments ni amis employèrent les moyens les plus bizarres pour faire leur partie dans le grand concert populaire qui se préparait ; les uns allaient par la ville à la recherche de toutes les clochettes, les détachant même du cou des vaches que le hasard amenait sous leur maiii ; les autres s’emparaient, chez un fondeur, d’une petite cloche, et, à l’aide d’un bâton porté aux deux bouts par deux hommes, ils établissaient un tocsin ambulant. Une levée générale de cornets à bouquin avait été faite, et plus de six cents personnes s’étaient armées de cet instrument, qui, comme chacun sait, ne nécessite aucune étude préparatoire. Un marchand de sifflets qui, sans cette circonstance, ne se serait jamais débarrassé de son fonds de boutique, vint s’établir sur la place, et vendit jusqu’à la dernière pièce de son magasin !

Entre quatre et cinq heures, une partie des musiciens était assemblée ; ils prirent la résolution, pour faire plus grand honneur à M. le préfet, d’aller au-devant de lui ; en conséquence, iis s’échelonnèrent sur la route par laquelle ce ma-