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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 10.djvu/218

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Qui ne sait écraser qu’avec le pavé de la censure les allusions imperceptibles qui viennent se poser sur leur visage.

» Nous ne savons même pas si nous n’aurions pas dans la lutte quelque indulgence pour le ministère lui-même. Tout ceci, à vrai dire, nous inspire une grande pitié. Le gouvernement de juillet est tout nouveau-né, il n’a que trente mois, il est encore au berceau, il a de petites fureurs d’enfant. Mérite-t-il, en effet, qu’on dépense contre lui beaucoup de colère virile ? Quand il sera grand, nous verrons.

» Cependant, à n’envisager la question, pour un instant, que sous lè point de vue privé, la confiscation censoriale dont il s’agit cause encore plus de dommage peut-être à l’auteur de ce drame qu’à tout autre. En effet, depuis quatorze ans qu’il écrit, il n’est pas un de ses ouvrages qui n’ait eu l’hon neur malheureux d’être choisi pour champ de bataille à son apparition, et qui n’ait disparu d’abord pendant un temps plus ou moins long sous la poussière, la fumée et le bruit. Aussi, quand il donne une pièce de théâtre, ce qui’lui importe avant tout, ne pouvant espérer un auditoire calme dès la première soirée, c’est la série des représentations. S’il arrive que, le premier jour, sa voix soit couverte par le tumulte, que sa pensée ne soit pas comprise, les jours suivants peuvent corriger le premier jour. Hernani a eu cinquante-trois représentations ; Marion Delorme a eu soixante et une représentations ; le Roi s’amuse, grâce à une violence ministérielle, n’aura eu qu’une représentation. Assurément, le tort fait à l’auteur est grand. Qui lui rendra intacte et au point où elle en était, cette troisième expérience si importante pour lui ? qui lui dira de quoi eût été suivie cette première représentation ? qui lui rendra le public du lendemain, ce public ordinairement impartial, ce public sans amis et sans ennemis, ce public qui enseigne le poëte et que le poète enseigne ?

» Le moment de transition politique où nous sommes est curieux. C’est un de ces instants de fatigue générale, où tous les actes despotiques sont possibles dans la société, même la plus infiltrée d’idées d’émancipation et de liberté. La France a marché vite en juillet 1830 ; elle a fait trois bonnes journées ;