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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 10.djvu/219

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

elle a fait trois grandes étapes dans le champ de la civilisation et du progrès. Maintenant, beaucoup sont harassés, beaucoup sont essoufflés, beaucoup demandent à faire halte. On veut retenir les esprits généreux, qui ne se lassent pas et qui vont toujours ; on veut attendre les tardifs qui sont restés en arrière et leur donner le temps de rejoindre. De là une crainte singulière de tout ce qui remue, de tout ce qui parle, de tout ce qui pense. Situation bizarre, facile à définir. Ce sont toutes les existences qui ont peur de toutes les idées ; c’est la ligue des intérêts froissés du mouvement des théories ; c’est le commerce qui s’effarouche des systèmes ; c’est le marchand qui veut vendre ; c’est la rue qui effraye le comptoir ; c’est la boutique armée qui se défend.

» À notre avis, le gouvernement abuse de cette disposition au repos et de cette crainte des révolutions nouvelles. Il en est venu à tyranniser petitement. Il a tort pour lui et pour nous. S’il croit qu’il y a maintenant indifférence dans les esprits pour les idées de liberté, il se trompe : il n’y a que lassitude. Il lui sera demandé sévèrement compte un jour de tous les actes illégaux que nous voyons s’accumuler depuis quelque temps. Que de chemin il nous a fait faire ! il y a deux ans, on pouvait craindre pour l’ordre ; on est maintenantà trembler pour la liberté ! Des questions de libre pensée, d’intelligence et d’art sont tranchées impérialement par les vizirs du roi des barricades. Il est profondément triste de voir comment se termine la révolution de juillet, mulier formosa superne.

» Sans doute, si l’on ne considère que le peu d’importance de l’ouvrage et de l’auteur dont il est ici question, la mesure ministérielle qui les frappe n’est pas grand’chose. Ce n’est qu’un méchant petit coup d’État littéraire, qui n’a d’autre mérite que de ne pas trop dépareiller la collection d’actes arbitraires à laquelle il fait suite. Mais, si l’on s’élève plus haut, on verra, qu’il ne s’agit pas seulement dans cette affaire d’un drame et d’un poëte, mais, nous l’avons dit en commençant, que la liberté et la propriété sont toutes deux, sont tout entières engagées dans la question. Ce sont là de haut ?’et