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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Après que son avocat eut parlé, Victor Hugo se leva et prononça le discours suivant :


« Messieurs, après l’orateur éloquent[1] qui me prête si généreusement l’assistance puissante de sa parole, je n’aurais rien à dire si je ne croyais de mon devoir de ne pas laisser passer sans une protestation solennelle et sévère l’acte hardi et coupable qui a violé tout notre droit public dans ma personne.

» Cette cause, messieurs, n’est pas une cause ordinaire. Il semble à quelques personnes, au premier aspect, que ce n’est qu’une simple action commerciale, qu’une réclamation d’indemnité pour la non-exécution d’un contrat privé, en un mot, que le procès d’un auteur à un théâtre. Non, messieurs, c’est plus que cela, c’est le procès d’un citoyen à un gouvernement. Au fond de cette affaire, il y a une pièce défendue par ordre ; or, une pièce défendue par ordre, c’est la censure, et la Charte abolit la censure ; une pièce défendue par ordre, c’est la confiscation. Votre jugement, s’il m’est favorable, et il me semble que je vous ferais injure d’en douter, sera un blâme manifeste, quoique indirect, de la censure et de la confiscation.

» Vous voyez, messieurs, combien l’horizon de la cause s’élève et s’élargit. Je plaide ici pour quelque chose de plus haut que mon intérêt propre ; je plaide pour mes droits les plus généraux, pour mon droit de penser et pour mon droit de posséder, c’est-à-dire pour le droit de tous. C’est une cause générale que la mienne, comme c’est une équité absolue que la vôtre. Les petits détails du procès s’effacent devant la question ainsi posée. Je ne suis plus simplement un écrivain, vous n’êtes plus simplement des juges consulaires. Votre conscience est face à face avec la mienne. Sur ce tribunal, vous représentez une idée auguste, et moi, à cette barre, j’en représente une autre. Sur votre siège, il y a la justice ; sur le mien, il y a la liberté.

« Or, Injustice et la liberté sont faites pour s’entendre. La liberté est juste, et la justice est libre.

  1. M. Odlon Barrot.