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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

se prendre, et chérissait l’un et l’autre sans connaître et sans chercher le moyen de les accorder. »

Il est impossible de mieux peindre l’état de perplexité ouïe génie se trouve à une certaine époque de la vie, tiré en avant par la foi, en arrière par le doute.

En attendant, comme il fallait absolument demander le pain de l’indépendance à un travail de chaque jour, l’auteur d’Zndiana, qui avait alors vingt-cinq ans, entreprit à la fois de peindre sur éventails, de faire des portraits à quinze francs, et de composer un roman.

Tout cela était bien précaire : ies moindres décalques au vernis faisaient plus d’effet que les gouaches du jeune peintre ; on ayaitpour cinq francs — et plus ressemblants que les siens — les mêmes portraits qu’il vendait quinze francs ; enfin, le roman parut si mauvais à-George Sand, qu’il n’essaya pas même, une fois qu’il l’eut terminé, d’en tirer parti. — Cependant, il lui semblait que sa vocation réelle était la littérature.

Il résolut de demander conseil à ce qu’on appelle un hommearrivé.

Il y avait à cette époque, à Paris, un littérateur d’un esprit incontestable et presque incontesté, un écrivain de premierordre, par l’originalité du moins. Il avait publié plusieurs romans dont le plus curieux avait obtenu un de ces étranges succès comme en obtenaient en ce moment-là Ourika et Édouard. Il avait essayé du théâtre ; il avait fait une comédie pour les Français : cette comédie était tombée avec le bruit du tonnerre ! — J’ai rendu compte de sa première, de son unique représentation.

On le nommait Henri de Latouche. Il était le compatriote de George Sand, l’ami de sa famille. George Sand se décida à l’aller trouver.

De Latouche, que je connaissais peu, je l’ai dit déjà, et avec lequel je me brouillai vers 1832, parce que je n’étais pas assez, républicain pour lui, ou plutôt parce que je l’étais d’une autre façon que lui, était, à cette époque, un homme de quarante-cinq ans, au visage pétillant d’esprit, au corps un peu replet, aux manières incontestablement courtoises, quoiqu’il y eût