Page:Dumas - Mes mémoires, tome 10.djvu/247

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
244
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

dans cette courtoisie un fond d’ironie éternelle. Avec cela, son langage était choisi, sa parole pure et bien accentuée ; il parlait corame on écrit, ou plutôt comme on dicte.

Était-ce là le guide qui convenait à un commençant ? J’en doute.

De Latouche était absolu dans ses opinions ; il lui semblait que tout ce qui ne lui était pas dévoué lui était hostile, que tout ce qui n’était pas pour lui était contre lui. Ellàré comme un chamois, il croyait sans cesse qu’il y avait une conspiration ourdie pour le calomnier et le perdre. Il se retirait alors dans sa retraite de la Vallée-aux-Loups. Ses ennemis l’accusaient de faiblesse, et voulaient essayer de l’y poursuivre ; mais, s’ils se hasardaient trop avant, ils revenaient marqués au visage par une griffe de tigre.

Il commença par railler cruellement le pauvre novice, condamnant, comme Alceste, toutes ses tentatives au cabinet.

« Et, cependant, dit George Sand, sous les railleries etles critiques, sous les flots de moqueries enjouées, mordantes, divertissantes, qu’il me prodiguai t dans ses entretiens, je voyais venir la raison, le goût, l’art en un mot. Personne n’excellait mieux que lui à détruire les illusions de l’amour-propre ; mais personne n’avait plus de bonhomie et de délicatesse pour vous conserver l’espoir et le courage. Il avait une voix douce, pénétrante, une prononciation aristocratique et distincte, un air à la fois caressant et railleur. Son œil, crevé dans son enfance, ne le défigurait nullement, et ne gardait de l’accident d’autre trace qu’une espèce de feu rouge qui s’échappait de la prunelle et qui lui donnait, quand il était animé, je ne sais quel éclat fantastique. »

Non, cet œil ne défigurait pas le visage de de Latouche ; mais il lui défigurait terriblement le caractère ! Peut-être aussi de Latouche dut-il à cet œil crevé une portion de son talent, comme Byron dut une portion de son génie à son pied boiteux.

Nous empruntous encore à George Sand lui-même ces quelques lignes, qui forment le complément du caractère de de Latouche :

« M. de Latouche aimait à enseigner, à reprendre, à indi-