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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

quer ; mais il se lassait vite des vaniteux, et tournait sa verve contre eux en compliments dérisoires, dont rien ne saurait rendre la malice. Quand il trouvait un cœur disposé à profiter de ses lumières, il se faisait affectueux dans sa satire ; sa griffe devenait paternelle ; son œil de feu s’attendrissait ; et, après avoir jeté dehors le trop-plein de son esprit, il vous laissait voir un cœur tendre, sensible, plein de dévouement et de générosité. »

Six mois se passèrent à cette espèce de travail entre l’écolier et le maître, le maître indiquant à l’écolier les lectures à faire, les lui lisant mêmeàsa façon, c’est-à-dire lui racontant le livre au lieu de le lui lire, ajoutant au récit de l’auteur les brillantes broderiesde son imagination, laissant, comme cette fée des Mille et une Nuits que nous avons tous connue dans notre enfance, tomber de sa bouche, en même temps —que chaque parole, une perle ou un diamant.

De Latouche, à cette époque, rédigeait le Figaro, espèce de hussard de l’opposition, officier de cavalerie légère, qui, cha-, que jour, chargeait le gouvernement. Les rédacteurs ordinaires du journal étaient Félix Pyat et Jules Sandeau. George Sand leur fut adjoint.

Cette adjonction fut une sorte de diplôme de baccalauréat ès lettres.

Les trois élèves de de Latouche, — j’espère que, dès que George Sand accepte ce titre, les autres ne le répudieront pas, — les trois élèves de de Latouche avaient un bureau commun de rédaction où ils se réunissaient chaque jour à l’heure convenue.

C’était dans ce bureau qu’assis à de petites tables couvertes de tapis verts, chacun faisait de la copie. — On sait que copie est, dans ce cas, très-improprement, le synonyme de manuscrit.

De Latouche donnait un thème séance tenante ; on brodait dessus, et le journal se trouvait fait d’un seul esprit, puisqu’il n’y avait qu’une seule âme, et que cette âme, comme le Saint-Esprit sur les apôtres, se répandait en langues de feu sur scs disciples.