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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 10.djvu/250

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

conseil donné : elle le suivit. — Nous disons tantôt il, tantôt elle ; que George Sand nous pardonne ! n’avons-nous pas dit que son admirable génie était hermaphrodite comme la Fragoletta de son maître !

Un mois après, George Sand recevait de son libraire les douze exemplaires réservés pour l’auteur.

Indiana avait été mise en vente dans la journée.

De Latouche entra.

— Oh ! oh ! dit-il en flairant des volumes sortant de dessous presse, comme l’ogre du Petit-Poucet flaire la chair fraîche, qu’est-ce que cela ?

— Hélas ! répondit l’écolier tout tremblant, c’est mon livre…

— Ah ! oui, Indiana, je me le rappelle.

Laissons George Sand raconter elle-même ce momen t solennel de sa vie :

« Il s’empara avec vivacité d’un volume, coupa les premières pages avec ses doigts, et commença à se moquer comme à l’ordinaire, s’écriant :

» — Ah ! pastiche, pastiche, que me veux-tu ? Voilà du Balzac, si ça peut !

» Et, venant avec moi sur le balcon qui couronnait le toit de la maison, il me dit et me redit toutes les spirituelles et excellentes choses qu’il m’avait déjà dites sur la nécessité d’être soi, et de ne pas imiter les autres.

» Il me sembla, d’abord, qu’il était injuste cette fois, et puis, à mesure qu’il parlait, je fus de son avis. Il me dit qu’il fallait retourner à mes aquarelles sur écrans et sur tabatières ; ce qui m’amusait certes bien plus que le reste, mais ce dont jo ne trouvais malheureusement pas le débit.

» Ma position était redevenue désespérante ; et, cependant, soit que je n’eusse nourri aucun espoir de succès, soit que je fusse armé de l’insouciance de la jeuuesse, je ne m’affectai pas de l’arrêt de mon juge, et je passai une nuit fort tranquille.

» À mon réveil, je reçus de lui ce billet, que j’ai toujours conservé :