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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

de magnifiques oiseaux que l’on recevait des quatre parties du monde.

Voici le chœur des travailleurs :


Goûtons le sort que le ciel nous destine ;
Reposons-nous sur le sein des oiseaux ;
Mêlons le camphre à la térébenthine,
Et par le vin égayons nos travaux.


Sur quoi, on buvait une seconde gorgée à la bouteille, qui se trouvait à moitié vide.

Il s’agissait de suivre l’ordonnance de James Rousseau, et de la remplir.

À cet effet, on avait nommé un comité de chimie, composé de Ferdinand Langlé, d’Eugène Sue et de Delâtre ; plus tard, Romieu y fut adjoint.

Ce comité de chimie faisait un affreux mélange de mélasse, de-réglisse et de caramel, remplaçait le vin bu par ce mélange improvisé, rebouchait la bouteille aussi soigneusement que possible, et la remettait à sa place.

Quand c’était du vin blanc, on clarifiait la préparation avec du blanc d’œuf battu.

Mais la punition retombait parfois sur les coupables.

M. Sue donnait de grands et magnifiques dîners ; au dessert, on buvait tantôt l’alicante de madame de Morville, tantôt le tokai de Sa Majesté l’empereur d’Autriche, tantôt le johannisberg de M. de Metternich, tantôt le liebfraumilch du roi de Prusse.

Tout allait à merveille, si l’on tombait sur une bouteille vierge ; mais, si l’on tombait sur une bouteille revue et corrigée par le comité de chimie…

Il fallait avaler le breuvage !

Le docteur Sue goûtait son vin, faisait une légère grimace, et disait :

— Il est bon, mais il demande à être bu.

Et c’était une si grande vérité, et le vin demandait si bien à être bu, que, le lendemain, on recommençait à boire.