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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 10.djvu/274

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

et, quand, malgré toute ma pénétration, toute ma science, je û’ai rien trouvé, alors j’invente !

» Grâce à cette réunion d’heureuses qualités, vous eûtes la bonté de me donner de l’emploi. Criblé de dettes, connu comme un assez mauvais sujet de bon ton… vous entendez ? un de vos agents qui pouvait m’apprécier me proposa d’entrer dans la grande confrérie ; j’acceptai, et ce nouvel état ne servit qu’à développer mon naturel ; car je fus accusé pour faux ! J’eus beau supplier, intriguer, faire parler en ma faveur par un de mes confrères de Montrouge… ; impossible de me disculper : la justice et les tribunaux n’entrent pas, malheureusement, dans tous ces petits intérêts-là ; elle ne plaisante jamais. Je fus condamné à dix ans de travaux forcés. Quelle humiliation pour un agent de l’autorité !

» À peine arrivé dans ce vaste établissement,… qui rend réellement d’immenses services à la société, et qu’on devrait nommer autrement, par égard pour nous autres gens bien nés… ma figure plut à l’inspecteur de police ; il devina mes talents, me fit des propositions. Malgré le vœu que j’avais fait de ne plus servir un pays aussi ingrat, la philanthropie, le désir du bien général, etc., etc., me déterminèrent ; mais hélas ! quelle décadence, monsieur le préfet ! être réduit à examiner la conduite morale et politique des galériens… moi qui avais exercé cet état important dans la meilleure société ! Vous m’avouerez que c’est très-désagréable. Outre que les agents en chef ne sont pas honnêtes du tout… Au moins, dans la capitaie, on gazait les termes ; vous nous faisiez appeler agents de l’autorité, voire même du gouvernement, tandis que, là, on vous appelle mouchards tout court… Si nous nous plaignons, â nous parlons de notre utilité, on nous compare aux plus vils instruments ! Enfin, monsieur le préfet, c’était à n’y pas tenir. Heureusement que vous avez bien voulu vous intéresser à moi, pour me faire, le plus tôt possible, sortir de ce vilain endroit, et me promettre de me faciliter les moyens de continuer une carrière que je crois avoir exercée avec honneur et au gré de vos désirs ; car j’ai mis à profit le temps que j’ai passé ici. J’ai fait des progrès sensi-