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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 10.djvu/279

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

» Je vous recommande surtout de faire défendre un pitoyable mélodrame, où l’on pend un espion ; ce n’est pas que je iedoute aucune allusion, mais c’est égal, on n’aime pas à avoir ce spectacle-là devant les yeux. Dailleurs, la pièce est immorale, très-immorale !

» Il m’est arrivé ici une scène assez bizarre, mais qui prouve combien vos employés, mes confrères, font bien leur devoir.

» Je vous demanderai la permission de vous rapporter notre conversation et les réflexions que nos réponses mutuelles nous suggéraient ; car mon confrère m’a communiqué les siennes.

» J’étais allé au café prendre ma demi-tasse, parce que cela me donne des idées, agrandit l’imagination ; car vous sentez que nous ne pouvons jamais avoir trop d’imagination. Je prenais donc mon café sur la table qui est près du poële… exellente place pour un observateur ! On domine tout, rien De vous échappe ; on est à peu près caché par le tuyau, et, grâce à cet abri protectenr, on voit sans être vu.

» Le café était assez mal composé : des marchands, quelques sous-officiers, de petites gens enfin. Je perdais mon temps, lorsqu’un grand monsieur d’assez mauvaise mine entra dans le café ; ses regards observateurs le parcoururent dans tous les sens ; puis il choisit une table dans un coin écarté, et demanda d’une voix de stentor… devinez, monsieur le préfet… j’ose à peine vous le dire ! Il demanda le Constitutionnel ! Vous sentez bien qu’en province, surtout, quand on demande un journal comme celui-là, on est très-suspect. Aussi, je m’approchai d’un air engageant, et lui souris agréablement.

» Écoutez, monsieur le préfet ; c’est une espèce de scène de comédie.

» l’homme-mouche. — Monsieur voudrait-il me passer le journal après lui ?

» l’inconnu. — Certainement, monsieur, avec plaisir… (À part.) Voilà un gaillard qui fait un bien mauvais choix en fait de journaux ! Tachons d’engager la conversation…