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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 10.djvu/31

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

» Un des deux hommes criait aux soldats :

» — Mais venez donc, fainéants ! on vous attend ici.

» En ce moment, un détachement de soldats parut dans la rue des Arcis.

» Une jeune fille dont l’amant était parmi les insurgés, et qui se tenait en sentinelle à une fenêtre, les vit avant tout le monde, et cria :

» — Aux armes !

» À ce cri « Aux armes ! » poussé par la jeune fille, les républicains prennent place, et se disposent à repousser les soldats.

» Quant aux porte-drapeaux, ils restèrent immobiles sur leurs barricades, prêts à essuyer le feu.

» Le feu ne se fit pas attendre, et un porte-drapeau tomba mort.

» La place ne fut pas longtemps vacante. Un autre s’élança sur la barricade, redressa le drapeau, et, dix minutes après, tomba à son tour.

» Mais il paraît qu’il était convenu qu’il fallait que l’on vît toujours le drapeau rouge debout, car un troisième républicain prit la place du second, et le drapeau flotta de nouveau.

» Le troisième fut tué comme les deux autres.

» Un quatrième prit sa place, et tomba près des trois autres.

« Puis un cinquième.

» Le sixième était un ouvrier peintre en bâtiment ; celui-là semblait être protégé par un charme. Pendant plus d’une heure, il agita le drapeau en criant : « Vive la République ! »

» Enfin, au bout d’une heure, il descendit lentement, et vint s’appuyer près de la porte de la maison numéro 36, sous laquelle nous nous tenions, Auguste et moi.

» Puis il tomba lourdement en poussant un soupir.

» Il n’avait rien dit, mais il était frappé près du cœur.

» Son frère, qui le vit tomber, quitta un instant son fusil pour le venir soigner ; mais, le voyant presque mort, et sûr que ses soins seraient inutiles, il l’embrassa à plusieurs reprises, ressaisit son fusil, monta tout debout sur la barricade,