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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 10.djvu/37

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

toits et à travers les fenêtres, eurent horreur de cette action, et menacèrent de tirer sur leurs camarades.

» L’homme ne fut pas précipité.

» Fut-il sauvé pour cela ? J’en doute.

» Bientôt le sergent, dont je m’étais fait un ami, reçut l’ordre de nous conduire au poste des Innocents.

» Nous passions par la rue Aubry-le-Boucher et par le devant des Halles.

» Comme il pleuvait en ce moment, un grand nombre de soldats se tenaient sous les piliers ; à mesure que nous passions, ils nous injuriaient, criant à leurs camarades :

» — Mais frappez donc sur ces brigands-là ! mais assommez-les donc !

» Je ne quittais pas des yeux mon cher et bon sergent, et, pendant qu’une foule de curieux nous regardait passer, et que cette foule produisait un certain encombrement, il me fit un signe. Je le compris.

» Je me glissai entre deux soldats ; Auguste me suivit.

» La foule s’ouvrit pour nous donner passage, et se referma sur nous ; les soldats laissèrent échapper un gros juron, comme s’ils étaient furieux : au fond, ils étaient enchantés.

» Notre sergent semblait avoir donné une portion de son cœur à chacun de ses hommes.

» Je courus sans m’arrêter jusqu’à la maison et je tombai comme une bombe au milieu de toute la famille.

» Ma mère se trouva mal ; mon père resta sans paroles. On leur avait dit que j’avais été précipité du pont d’Austerlitz dans la Seine. Ils me tenaient donc pour mort depuis la veille.

» Je n’étais que bien malade.

» Mon père me fit coucher, et j’en fus quitte pour une fièvre cérébrale.

» On m’assure, monsieur Dumas, que ce récit peut avoir quelque intérêt pour vous, et je vous l’envoie.

« Ô vous qui avez une voix si puissante, criez bien haut, criez toujours :

» Tout plutôt que la guerre civile ! »