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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 10.djvu/56

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Ah ! s’écria-t-il en prenant ses cheveux à pleines mains, encore ! toujours !… Il ne passera donc pas un voyageur qui ne fasse la même plaisanterie ?

— Dame, reprit mon compagnon, j’ai lu, dans les Impressions de Voyage de M. Alexandre Dumas…

— Les Impressions de Voyage de M. Alexandre Dumas ! hurla le malheureux maître de poste ; mais il y a donc encore des gens qui les lisent ?

— Pourquoi ne les lirait-on pas ? me hasardai-je à demander.

— Mais parce que c’est un livre atroce, plein de mensonges, etqu’on en a brûlé par la main du bourreau qui ne le méritaient pas comme celui-là… Oh ! M. Alexandre Dumas ! continua le malheureux marchand de soupe en passant de la colère à l’exaspération, je ne le rencontrerai donc pas un jour entre quatre yeux ? il faudra donc que j’aille à Paris pour en finir avec lui ? il ne repassera donc pas par la Suisse ? Il n’ose pas ! il sait que je l’attends ici pour l’étrangler : je le lui ai fait dire. Eh bien, si vous le voyez, si vous le connaissez, redites-le-lui encore, redites-le-lui chaque fois que vous le rencontrerez, reditesle-lui toujours !

Et il rentra chez lui comme un fou, comme un furieux, comme un désespéré.

— Qu’a donc votre maître ? demandai-je au postillon.

— Ah ! on dit comme cela qu’il a une maladie, un sort qu’un monsieur de Paris lui a jeté en passant.

— Et il veut tuer le monsieur de Paris ?

— Il veut le tuer.

— Absolument ?

— Sans rémission.

— Et, si le monsieur de Paris lui disait tout à coup : « Me voilà, c’est moi ! » que ferait-il ?

— Oh ! pour sûr, il tomberait mort d’un coup de sang.

— C’est bien, postillon… En revenant, vous direz à votre maître que M. Alexandre Dumas est passé, qu’il lui souhaite une longue vie, et toute sorte de prospérités. — En route !

— Ah ! en voilà une bonne ! dit le postillon en partant au