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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 10.djvu/57

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

galop. Ah ! oui, que je le lui dirai ; ah ! oui, qu’il le saura, et qu’il se rongera les poings de ne pas vous avoir reconnu… Allons, la Grise, allons, hue !

Mon compagnon était tout pensif.

— Eh bien, lui demandai-je, à quoi penses-tu ?

— Je cherche la cause de la haine de cet homme contre toi.

— Tu ne comprends pas ?

— Non.

— Tu te rappelles bien le bifteck d’ours, dans mes Impressions de Voyage ?

— Parbleu ! c’est la première chose que j’en ai lue.

— Eh bien, c’est chez ce brave homme que se passa la scène de M. Alexandre Dumas mangeant un bifteck d’ours, en 1832.

— Après ?

— Beaucoup d’autres comme toi ont lu le bifteck d’ours ; de sorte qu’un beau matin, est passé un voyageur plus curieux ou moins en appétit que les autres, qui a dit en regardant la carte :

» — Vous n’avez pas de l’ours ?

» — Plaît-il ? a répondu le maître de l’hôtel.

» — Je vous demande si vous avez de l’ours.

» — Non, monsieur, non.

» Et, pour le moment, tout a été fini là… Un jour, deux jours, huit jours après, un second voyageur, en posant son bâton ferré dans l’angle de la porte, en jetant son chapeau sur une chaise, en secouant la poussière de ses souliers, a dit au maître de l’hôtel :

» — Ah ! je suis bien ici à Martigny, n’est-ce pas ?

» — Oui, monsieur.

» — À l’hôtel de la Poste ?

» — À l’hôtel de la Poste.

» — C’est ici qu’on mange de Tours, alors.

» — Je ne comprends pas.

» — Je dis que c’est ici qu’on mange de l’ours.

» Le maître de l’hôtel regarda le voyageur tout ébahi.

» — Pourquoi ici plutôt qu’ailleurs ? lui demanda-t-il.

» — Mais parce que c’est ici que M. Dumas en a mangé.