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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS


Vous savez ce qu’on fit du géant historique.
Pendant six ans, on vit, loin derrière l’Afrique,
Sous les verrous des rois prudents,
— Oh ! n’exilons personne ! oh ! l’exil est impie ! —
Cette grande figure en sa cage accroupie,
Ployée et les genoux aux dents.

Encor, si ce banni n’eût rien aimé sur terre !
Mais les cœurs de lion sont les vrais cœurs de père ;
Il aimait son fils, ce vainqueur !
Deux choses lui restaient dans sa cage inféconde :
Le portrait d’un enfant et la carte du monde,
Tout son génie et tout son cœur !

Le soir, quand son regard se perdait dans l’alcôve,
Ce qui se remuait dans cette tête chauve,
Ce que son œil cherchait dans le passé profond,
— Tandis que ses geôliers, sentinelles placées
Pour guetter nuit et jour le vol de ses pensées,
En regardaient passer les ombres sur son front, —

Ce n’était pas toujours, sire, cette épopée
Que vous aviez naguère écrite avec l’épée,
Arcole, Austerlitz, Montmirail ;
Ni l’apparition des vieilles pyramides,
Ni le pacha du Caire et ses chevaux numides
Qui mordaient le vôtre au poitrail ;

Ce n’était pas le bruit de bombe et de mitraille
Que vingt ans sous ses pieds avait fait la bataille
Déchaînée en noirs tourbillons,
Quand son souffle poussait sur cette mer troublée
Les drapeaux frissonnants penchés dans la mêlée,
Comme les mâts des bataillons ;

Ce n’était pas Madrid, le Kremlin et le Phare,
La diane au matin fredonnant sa fanfare.
Les bivacs sommeillant dans les feux étoilés,
Les dragons chevelus, les grenadiers épiques,
Et les rouges lanciers fourmillant dans les piques,
Comme des fleurs de pourpre en l’épaisseur des blés;