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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 10.djvu/90

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

fieux, et de me faire espérer que, d’après cette conviction, il consentirait à favoriser ma seconde demande.

» Environ quinze jours après, je retournai chez le grand maître ; j’en revins encore à mes premières obsessions. Il était étonné lui-même de ma ténacité.

» — Je ne vous conçois vraiment pas ! me disait-il. Vous mettez trop d’importance à voir le prince. Contentez-vous de savoir qu’il est heureux, qu’il est sans ambition. Sa carrière est toute tracée : il n’approchera jamais de la France ; il n’en aura pas même la pensée. Répétez tout ceci à vos compatriotes ; désabusez-les, s’il est possible. Je ne vous demande pas le secret de tout ce que j’ai pu vous dire ; bien au contraire : je vous prie, à votre retour en France, de le publier et même de l’écrire, si bon vous semble. Quant à la remise de votre exemplaire, n’y comptez pas. Votre livre est fort beau comme poésie ; mais il est dangereux pour le fils de Napoléon : votre style plein d’images, cette vivacité de description, ces couleurs que vous donnez à l’histoire, tout cela, dans sa jeune tête, peut exciter un enthousiasme et des germes d’ambition qui, sans aucun résultat, ne serviraient qu’à le dégoûter de sa position actuelle. L’histoire, il en connaît tout ce qu’il doit savoir, c’est-à-dire les dates et les noms. Vous voyez, d’après cela, que votre livre ne peut lui convenir.

» — J’insistai encore quelque temps ; mais je vis bientôt que le grand maître ne m’écoutait que par civilité. Je ne voulus pas m’épuiser en prières inutiles ; et, dès lors, désabusé de mon innocente chimère, je regardai cette visite comme une audience dè congé, et je ne pensai plus qu’à retourner en France.

» Jusqu’au moment de mon départ, je continuai à visiter les personnes qui m’avaient jusqu’alors témoigné tant d’intérêt. Dans une de ces paisibles réunions, on m’a répété un propos du duc de Reichstadt qui m’a singulièrement frappé ; je le tiens de bonne source, et, si je ne craignais de nuire à la fortune de cette personne, je la nommerais ici ; qu’on se contente de savoir qu’elle voit familièrement le prince presque tous les jours. — Dernièrement, cet étrange jeune homme