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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 10.djvu/89

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

vers lui, et qu’en votre présence même, je lui eusse remis un exemplaire de Napoléon en Égypte… Vous voyez bien que j’aurais trompé toutes vos précautions, et j’aurais rempli mon but, d’une manière violente, j’en conviens ; mais, enfin, il n’en est pas moins vrai que le prince aurait reçu mon exemplaire, et qu’il l’aurait lu, ou, du moins, qu’il en aurait connu le titre.

» M. Dietrichstein me fit une réponse qui me glaça d’étonnement.

» — Écoutez, monsieur : soyez bien persuadé que le prince n’entend, ne voit et ne lit que ce que nous voulons qu’il lise, qu’il voie et qu’il entende. S’il recevait une lettre, un pli, un livre qui eût trompé notre surveillance, et fût tombé jusqu’à lui sans passer par nos mains, croyez que son premier soin serait de nous le remettre avant de l’ouvrir ; il ne se déciderait à y porter les yeux qu’autant que nous lui aurions déclaré qu’il peut le faire sans danger.

» — Il paraît, d’après cela, monsieur le comte, que le fils de-Napoléon est bien loin d’être aussi libre que nous le supposons en France !

» Réponse :

» — Le prince n’est pas prisonnier… Mais il se trouve dans une position toute particulière. Veuillez bien ne plus me presser de vos questions : je ne pourrais vous satisfaire entièrement ; renoncez également au projet qui vous a conduit ici : je vous répète qu’il y a impossibilité absolue.

» — Eh bien, vous m’enlevez tout espoir ! Je ne puis, certainement, recourir à personne après votre arrêt, et je sens qu’il est inutile de renouveler mes instances ; mais, du moins, vous ne pouvez pas me refuser de lui remettre cet exemplaire au nom des auteurs. Il a sans doute une bibliothèque, et ce livre n’est pas assez dangereux pour être mis à l’index.

» M. Dietrichstein secoua la tête comme un homme irrésolu. Je compris qu’il lui était pénible de m’accabler de deux refus dans le même jour ; aussi, ne voulant pas le forcer à s’expliquer trop nettement, je pris congé de lui en le priant de lire le poème, de se convaincre qu’il ne contenait rien de sédi-