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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/10

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Moitié par crainte, moitié pour me faire le porteur de cette importante nouvelle, je repris tout courant le chemin de la maison. Au coin de la rue, je rencontrai ma mère ; elle connaissait déjà la catastrophe.

Cette fois, ni le haricot de mouton, ni le vin du Soissonais, ne lui parurent un sûr bouclier contre le danger qui menaçait. Elle voyait les Cosaques passant devant notre porte, au lieu de passer devant la porte de M. Ducoudray ; elle voyait le coup de pistolet tiré dans cette porte, et, à la suite de ce coup de pistolet, moi, étendu, sanglant, expiré.

Nous avions une espèce de femme de ménage, qu’on appelait la Reine. Ma mère laissa à la Reine son troisième haricot de mouton et son vin du Soissonais, la chargea de veiller sur la maison, me prit par la main, et, d’une course presque folle, m’entraîna vers la carrière.

En sortant de la ville, nous nous retournâmes et nous aperçûmes notre troupe de Cosaques montant au galop une longue montagne, qu’on appelle la montagne de Dampleux.

C’était une petite troupe égarée qui s’égarait de plus en plus.

J’ai entendu dire, depuis, que, de ces douze ou quinze hommes, pas un n’était sorti de la forêt.

Nous courions toujours, ma mère et moi, comme courent des gens qui portent l’alarme avec eux ; la panique fut grande : nous annoncions, non-seulement la présence des Cosaques, mais encore l’assassinat qu’ils avaient commis dix minutes auparavant.

Tout ce qui était hors de la carrière y rentra à l’instant ; derrière le dernier qui descendit, on retira l’échelle, et, de vingt-quatre heures, nul de la colonie n’eut le courage de se rapprocher de l’ouverture.

Peu à peu cette première terreur se calma ; on se hasarda de mettre le nez au jour. Les plus braves gagnèrent la surface de la terre. On s’informa. On apprit que les Cosaques avaient complètement disparu, et que, sauf le malheur arrivé vingt-quatre heures auparavant, la ville était tranquille.

Ma mère se décida alors à accepter l’offre que lui avait faite