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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/102

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

eût pu croire que rien n’était changé ; quelques-uns, comme Mocquet, avaient eu le cauchemar, voilà tout.

Nous étions de ceux-là.

On comprend bien que le retour de Napoléon, et les événements des Cent-Jours avaient fait oublier à M. Deviolaine le procès-verbal de M. Creton, et qu’il n’avait plus été question ni des cinquante francs d’amende, ni de la confiscation de mon fusil.

Seulement, mon fusil avait été presque aussi complètement confisqué que s’il fût tombé entre les mains de l’inspection forestière. Il avait été caché, non pas de peur que les Prussiens ne le prissent pour une arme de guerre, mais de peur qu’ils ne l’emportassent comme arme de luxe.

Dans la cachette, il s’était rouillé ; il fallut donc, pour le remettre en état, le porter chez mon bon ami Montagnon.

Une fois là, il était à ma disposition, comme on sait.

Parmi les habitués intimes de notre maison, était un M. Picot, avoué de son état, — frère de Picot de Noue et de Picot de l’Épée, — grand chasseur devant Dieu, et presque aussi envié par moi, comme chasseur en plaine, que l’était M. Deviolaine comme chasseur en forêt. En effet, — par son frère, fermier de trois ou quatre mille hectares, et fort jaloux de sa chasse, quoique son fils chassât peu, et que lui ne chassât point du tout, — M. Picot, l’avoué, avait à lui et à son chien d’arrêt, en toute propriété usufruitière, les trois ou quatre terroirs les plus giboyeux des environs de Villers-Cotterets ; aussi, bien qu’il ne fût pas réputé un des meilleurs tireurs du pays, faisait-il des chasses magnifiques, dont je voyais d’un œil envieux sa carnassière rebondie accuser le résultat, lorsqu’il passait devant notre porte pour rentrer dans ses foyers, comme il avait l’habitude de dire.

Je compris que ce n’était point le tout que M. Picot fût de nos amis, mais qu’il fallait particulièrement que je fusse des siens. Ce point établi dans mon esprit, les câlineries commencèrent.

Comment m’y pris-je ? Je n’en sais rien, car l’homme n’était point facile à séduire ; mais ce que je sais, c’est qu’au bout