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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/103

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

d’un mois de séductions, M. Picot m’offrit de me conduire à la chasse avec lui.

Seulement, il ne voulait pas me conduire sans la permission de ma mère.

Là était le nœud.

J’exposai ma demande ; ma pauvre mère en devint toute pâle.

M. Picot, bien entendu, était là.

— Oh ! mon Dieu ! lui dit-elle, quand nous avons sous les yeux l’exemple de M. Danré et celui de votre pauvre neveu Stanislas, comment avez-vous le courage de me le prendre ?

— Diable ! je ne vous le prends pas, s’écria M. Picot. Je ne me soucie pas que vous m’attaquiez en débauche d’enfant mineur : je voulais lui procurer un peu de plaisir ; il adore la chasse, cet enfant, et, sous ce rapport-là, vous savez de qui il tient… Vous ne voulez pas qu’il s’amuse ? N’en parlons plus.

Quoiqu’au premier moment je ne l’appréciasse point à sa valeur, la forme de la phrase était adroite ; car, toute courte qu’elle était, ce qui est déjà un mérite dans une phrase d’avoué, elle contenait deux arguments irrésistibles : « Sous ce rapport-là, vous savez de qui il tient, » et « Vous ne voulez pas qu’il s’amuse ? N’en parlons plus. » Celui de qui je tenais, c’était mon père. Or, dire à ma mère que je ressemblais à mon père, que j’avais la voix de mon père, que j’avais les goûts de mon père, c’était une grande séduction

Ajouter à cela qu’elle ne voulait pas que je m’amusasse, c’était lui faire un grand reproche, à elle, bonne et excellente mère, qui eût vendu son dernier couvert d’argent pour me donner un plaisir.

La péroraison elle-même était calculée : le n’en parlons plus avait été jeté avec un tel laisser aller, qu’il voulait dire : « Pardieu ! gardez votre gamin, si vous voulez ; c’était par pure complaisance que je l’emmenais… Vous ne voulez pas que je fasse son éducation de chasseur, c’est de la peine de moins. N’en parlons plus. »

Aussi, à mon grand étonnement, ma mère, au lieu d’accep-