Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/104

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
101
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

ter le n’en parlons plus, et de n’en plus parler, poussa-t-elle un soupir, et, au bout d’un instant :

— Oh ! mon Dieu ! dit-elle, je sais bien que, s’il ne chasse pas avec vous, il chassera avec un autre ou même tout seul. J’aimerais donc mieux, au bout du compte, vous le confier, à vous qui êtes prudent.

M. Picot me fit un signe du coin de l’œil.

Ce signe voulait dire : « Allons vite ! saute sur ce demi-consentement, et fais-en un consentement complet. »

Je compris ; je jetai mes deux bras au cou de ma mère, l’embrassant, la remerciant, la caressant.

— Eh ! ma chère madame Dumas, dit M. Picot pour vaincre un dernier scrupule, il connaît les fusils comme un armurier ! Que diable voulez-vous qu’il lui arrive ? C’est bien plutôt moi qui risque qu’il ne m’envoie du plomb.

— Ah ! il y a encore cela ? dit ma mère.

— Oui, mais je n’ai pas peur. Je le mettrai à bonne distance de moi, soyez tranquille.

— Et vous lui chargerez son fusil ?

— Je lui chargerai son fusil, soit.

— Allons, puisque vous le voulez !

Ma pauvre mère eût plus justement pu dire : « Puisqu’il le veut ! »

J’ai eu bien des désirs accomplis, bien des vanités satisfaites, bien des ambitions atteintes et dépassées même. Je ne sais pas si jamais désirs, vanités, ambitions réalisés, m’ont donné une joie pareille à celle que me causèrent ces quelques mots : « Allons, puisque vous le voulez ! »

M. Picot ne me fit point languir : il arrêta, pour le lendemain dimanche, une chasse au miroir.

Ce n’était qu’une chasse aux alouettes, c’est vrai, mais enfin c’était une chasse.

Aussitôt la permission accordée, j’avais couru chez Montagnon lui faire part de la bonne nouvelle, et lui demander mon fusil ; puis je l’avais démonté, je l’avais lavé, quoiqu’il fût propre et parfaitement huilé ; enfin, le soir, je l’avais monté dans ma chambre, et placé près de mon lit.