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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/105

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Il va sans dire que je ne fermai pas l’œil de la nuit ; de temps en temps, j’allongeais la main, pour m’assurer que mon cher fusil était toujours là. Jamais maîtresse adorée ne fut plus caressée que cet assemblage insensible de bois, de fer et d’acier.

Malheureusement, nous étions au mois de novembre, et le jour venait tard ; mais, si le jour, en se levant, regarda de mon côté, il me vit plus matinal que lui, et déjà revêtu de ma défroque de chasseur.

Tout cela formait un singulier mélange d’élégance et de pauvreté.

Le fusil était charmant ; un véritable petit fusil de duchesse à canon doré et cannelé, à lumière et à bassinet doublés de platine, à crosse de velours.

Ma poire à poudre à amorcer était une poire à poudre arabe rapportée d’Égypte par mon père, et faite d’une petite défense d’éléphant ; du reste, toute damasquinée d’or, comme ces choses d’Orient sur lesquelles il semble que le soleil ait déteint.

Ma poire à poudre à charger était en corne transparente comme du verre, et montée tout en argent. La charge, ou plutôt ce qui contenait la charge, était un renard couché, ciselé comme si Barye eût existé de ce temps-là : elle venait de la princesse Pauline.

Tout le reste de l’accoutrement était plus que modeste, et jurait fort avec ces trois objets de luxe.

Au reste, ne sachant pas encore ce que c’était que l’amour, je ne savais pas non plus ce que c’était que la coquetterie.

Je couchais dans la même chambre que ma mère ; elle se leva en même temps que moi, joyeuse et attristée à la fois ; joyeuse de ma joie, attristée de ce premier échappement, si je puis parler ainsi, à sa puissance maternelle.

Je courus chez M. Picot ; lui n’était pas levé ; je fis si grand bruit, que je le réveillai.

— Oh ! oh ! me dit-il en passant sa culotte de velours à côtes et ses grandes guêtres de cuir, c’est déjà toi, garçon ?

— C’est qu’il est tard, monsieur Picot, il est sept heures.

— Oui ; mais il a neigé, et les alouettes ne se lèvent qu’à midi.