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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/106

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Comment ! nous attendrons jusqu’à midi ? m’écriai-je.

— Oh ! pas tout à fait ; seulement, nous déjeunerons.

— Pourquoi faire ?

— Mais pour déjeuner, donc ! reprit M. Picot. Oh ! je suis un trop vieux chasseur pour m’embarquer ainsi l’estomac vide ; bon pour toi qui débutes.

En réfléchissant, je n’étais pas non plus très-ennemi du déjeuner, d’autant plus que, chez M. Picot, on déjeunait à merveille.

Nous déjeunâmes donc. M. Picot savoura son café, de la première à la dernière goutte, en véritable sybarite du xviiie siècle.

Voltaire avait mis cette liqueur fort à la mode en s’empoisonnant régulièrement trois fois par jour avec elle.

Quant à moi, mes yeux ne quittaient pas la fenêtre ; je voyais bien que c’était le temps couvert qui faisait que M. Picot ne se pressait pas.

Tout à coup je jetai un cri de joie : un rayon de soleil commençait de percer l’atmosphère grise et neigeuse.

— Oh ! voyez, voyez ! m’écriai-je, voilà le soleil !

En ce moment, j’étais dévot comme un brahme.

— Partons, dit M. Picot.

Nous partîmes ; le domestique nous suivit, portant le miroir et le paquet de ficelle.

M. Picot passa par son jardin, qui donnait sur un pauvre faubourg appelé les Buttes, ou plutôt les Huttes, car il était composé bien plutôt de huttes que de maisons.

J’étais désolé. J’avais espéré passer par la ville, et me faire voir à mes concitoyens dans toute ma gloire.

Nous dressâmes notre établissement sur le point culminant de la plaine. Nous mîmes notre miroir en rotation, et nous attendîmes.