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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/109

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

que le vent avait fort heureusement amassée en un douillet édredon d’un mètre d’épaisseur à l’endroit où j’étais tombé !

J’eus grand’peur, je l’avoue ; je me crus tué ! En tombant ; je fermai les yeux ; sentant que je ne m’étais fait aucun mal, je les rouvris ; la première chose que je vis fut la tête de la chienne de M. Picot, qui me regardait du point où j’avais sauté, et où, plus maîtresse d’elle-même que moi, elle s’était arrêtée.

— Diane, criai-je, Diane, ici ! cherche, cherche !

Et, me relevant, je repris ma course après ma perdrix.

Je vis de loin M. Picot, qui, monté sur la pointe d’un rocher, levait les bras au ciel ; il m’avait cru broyé. Je n’avais pas même une égratignure.

Il faisait, dans le paysage, un effet que je n’oublierai jamais.

J’avais perdu de vue ma perdrix, mais je savais dans quelle direction elle s’était abattue. J’entraînai Diane dans cette direction. À peine eut-elle fait vingt pas, qu’elle rencontra et se mit à suivre la piste au petit trot.

— Laisse-la faire, me criait M. Picot, laisse-la faire ; elle en revoit, elle en revoit.

Je n’avais garde, je courais plus fort qu’elle, et devant elle. Enfin, le hasard me conduisit sur la perdrix, qui se mit à piéter comme piète une perdrix.

— La voilà, criai-je à M. Picot, la voilà ! Diane, Diane, ta ta ta ta ta !

Diane la vit ; il était temps, l’haleine me manquait. J’eus encore la force d’aller jusqu’à ce qu’elle la tint gueuletée : je me jetai sur elle, je la lui arrachai, je la levai par une patte pour la montrer à M. Picot, et je tombai.

Jamais je ne me sentis si près de rendre l’âme ; jamais mon dernier souffle ne fut plus proche de mes lèvres : quatre pas de plus, et mon cœur se brisait.

Tout cela pour une perdrix qui valait quinze sous !

Étrange valeur que celle qui est donnée aux choses par la passion !

Je m’étais presque évanoui ; mais, plus je me sentais près