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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/110

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

de l’évanouissement, plus je serrais ma perdrix, de sorte que je revins à moi, sans l’avoir abandonnée un seul instant.

M. Picot m’avait rejoint. Il m’aida à me relever. La perdrix était encore vivante ; il lui cogna le derrière de la tête sur le canon de son fusil, puis il la fourra dans m’a carnassière toute voletante de douleur.

Je tournai ma carnassière de manière à pouvoir plonger les yeux dans le filet, et je regardai la pauvre bête agoniser jusqu’à la fin.

Alors, je m’aperçus que je n’avais plus ni fusil ni casquette.

Je me mis à la recherche de mon fusil, et M. Picot envoya Diane à celle de ma casquette.

Ce fut là que se borna ma chasse, ce jour-là ; c’était bien assez, Dieu merci ! Levaillant, après son premier éléphant tué sur les bords de la rivière Orange, n’était pas plus heureux que moi.

Mon triomphe fut complet. En rentrant à la maison, je trouvai mon beau-frère, qui arrivait de tournée.

Je lui montrai ma perdrix ; elle avait déjà fait connaissance avec la moitié de la ville.

Il me fit, du bout du doigt, une croix sur le front avec le sang de ma victime.

— Au nom de saint Hubert, me dit-il, je te baptise chasseur, et, maintenant que tu es baptisé…

— Eh bien ? demandai-je.

— Eh bien, je t’invite pour dimanche prochain à une battue chez M. Mocquet de Brassoire.

Je bondis de joie : ces battues chez M. Mocquet de Brassoire avaient une réputation départementale.

On y tuait jusqu’à quarante ou cinquante lièvres.

— Oh ! mon Dieu ! murmura ma mère ; il ne lui manquait plus que cela !

Cette invitation de mon beau-frère avait, pour ma mise hors de page, une tout autre importance que celle qu’elle paraissait avoir au premier abord.

Cette battue à Brassoire était une véritable chasse avec tous les grands tireurs des environs, avec M. Deviolaine surtout,