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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/144

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

le sanglier, qui était une bête de trois ans, prit un grand parti, et ce ne fut qu’au bout de quatre ou cinq heures de chasse qu’il se décida à faire tête aux chiens.

Tout le monde sait une chose : c’est que, fût-on harassé à ne pas pouvoir se tenir debout, toute fatigue cesse au moment où le sanglier tient. Nous avions fait, en tours et en détours, plus de dix lieues. Cependant, dès que nous reconnûmes, à la voix des chiens, qu’ils étaient aux prises avec l’animal, chacun de nous retrouva ses forces, et se mit à courir vers le point de la forêt où s’amassaient les aboiements.

C’était dans une jeune coupe de huit ou dix ans, c’est-à-dire au milieu d’un taillis de dix ou douze pieds de haut, que le drame se jouait. Au fur et à mesure que nous avancions, le bruit redoublait, et, de temps en temps, on apercevait, au-dessus de la cime des arbres, un chien enlevé par un coup de boutoir, les quatre pattes en l’air, hurlant comme un désespéré, mais ne retombant à terre que pour se ruer de nouveau » sur le sanglier. Enfin, nous arrivâmes à une espèce de clairière : l’animal était acculé, comme dans un fort, aux racines d’un grand baliveau renversé par quelque ouragan. Vingt-cinq ou trente chiens l’assaillaient à la fois ; dix ou douze étaient blessés, quelques-uns avaient le ventre ouvert. Mais ces nobles animaux ne sentaient pas la douleur, et revenaient au combat en piétinant sur leurs entrailles traînantes. C’était à la fois magnifique et horrible à voir !

— Allons, allons, Mildet ou Moinat, un coup de fusil à ce gaillard-là ! Assez de chiens tués ; finissons-en.

— Hein ! que dites-vous donc, monsieur l’inspecteur ? s’écria Choron. Un coup de fusil ! un coup de fusil à un pourceau ? Allons donc ! Un coup de couteau, c’est assez bon pour lui… Attendez, et vous allez voir !

Choron tira son couteau, et s’élança vers le sanglier, écartant les chiens, qui revinrent aussitôt, et se confondant avec cette masse mobile et hurlante. Pendant deux ou trois secondes, il nous fut impossible de rien distinguer ; mais, tout à coup, le sanglier fit un violent effort comme pour s’élancer. Chacun portait déjà la main à la gâchette de son fusil, quand