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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/209

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

de Virgile, qu’elle ne connaissait pas même de nom, fuyant pour être poursuivie, se cachant pour être vue avant d’être cachée.

Que sont-elles devenues ? Je les ai revues, depuis, assez malheureuses ; l’une à Versailles, l’autre à Paris : fruits égrenés et flétris de ce chapelet sur lequel j’ai épelé les premières phrases de l’amour.

Elles étaient filles d’un vieux tailleur et demeuraient près de l’église, dont elles n’étaient séparées que par la mairie.

Presque en face d’elles, Louise Brézette, dont j’ai déjà dit un mot, la nièce de mon maître de danse et de valse, vigoureuse fleur de quinze ans, à laquelle je pensais en écrivant l’histoire fabuleuse de cette tulipe noire, chef-d’œuvre d’horticulture vainement cherché, vainement sollicité, vainement attendu par les amateurs hollandais. Les cheveux de la belle madame Ronconi, — qui ont inspiré à Théophile Gautier l’un de ses plus merveilleux feuilletons, — ces cheveux, près desquels le charbon devient gris, et l’aile du corbeau devient pâle, n’étaient pas plus noirs, plus bleus, plus brillants que ceux de Louise Brézette, lorsque, pareils à un acier poli, ils renvoyaient au soleil ses rayons en reflets sombres et noirs. Oh ! la belle, la fraîche brune qu’elle faisait avec sa chair ferme et dorée comme celle du brugnon, avec ses dents de perle, qui éclairaient son visage sous une petite moustache d’ébène, entre deux lèvres de corail ! comme on sentait la vie et l’amour bouillir là-dessous ! comme on sentait qu’à la première flamme tout cela déborderait !

Elle était dévote, la plantureuse jeune fille, et, comme il fallait qu’une pareille organisation aimât, elle aimait Dieu.

En faisant quelques pas vers la place, un peu au delà de la rue de Soissons, en appuyant à gauche, s’ouvraient une porte et une fenêtre formant toute la façade d’une petite maison. À la fenêtre pendaient des chapeaux, des collerettes, des bonnets, des broderies, des gants, des mitaines, des rubans, tout l’arsenal enfin de la coquetterie féminine ; derrière la porte flottaient des rideaux destinés à empêcher les regards des curieux de pénétrer dans le magasin, mais qui, soit par une fatalité