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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/210

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

étrange, soit entêtement de la tringle sur laquelle ils glissaient, soit caprice du vent, laissaient toujours, à gauche ou à droite, quelque indiscrète ouverture par laquelle l’œil du passant pénétrait dans le magasin et qui, par la même occasion, permettaient que, du magasin, on pût voir dans la rue.

Au-dessus de cette porte et de cette fenêtre, était peinte, en grosses lettres, l’inscription suivante :

mesdemoiselles rigolot, marchandes de modes.

En vérité, ceux qui s’arrêtaient devant l’ouverture dénoncée, et qui parvenaient à plonger leurs regards dans l’intérieur du magasin, ne perdaient pas leur temps, et ne regrettaient pas leur peine.

Ce que nous disons là n’a aucun rapport avec les deux propriétaires de l’établissement, toutes deux vieilles filles ayant dépassé la quarantaine, et ayant, depuis longtemps, je le présume, perdu toute prétention à inspirer un autre sentiment que le respect.

Non, ce que nous disons là a rapport à deux têtes les plus adorables que l’on pût voir, l’une blonde, l’autre brune, qui se trouvaient placées à côté l’une de l’autre comme pour se faire valoir mutuellement : la tête brune avait nom Albine Hardi ; la tête blonde s’appelait Adèle Dalvin.

La tête brune, — avez-vous connu la belle Marie Duplessis, cette charmante courtisane aux airs de reine, sur laquelle mon fils a fait le roman de la Dame aux camellias ? — c’était Albine. Ne l’avez-vous pas connue ?… Je vais vous dire ce qu’Albine était.

C’était une jeune fille de dix-sept ans, au teint brun et mat, aux grands yeux bruns, veloutés, surmontés d’un sourcil noir qu’on eût cru tracé au pinceau, tant l’arc en était à la fois ferme et régulier. C’était une duchesse, c’était une reine ; si vous voulez, mieux que cela encore, quelque chose comme une nymphe de la suite de Diane : mince, svelte, droite et fine, une chasseresse qui eût été splendide à voir avec un feutre sur