Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/211

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
208
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

la tête, une plume sur ce feutre, une amazone flottante au vent, conduisant une troupe de piqueurs sonnants, guidant une meute aboyante. Au théâtre, son aspect eût été grandiose, presque surhumain. Dans la vie ordinaire, on était tenté de la trouver trop belle, et, pendant un certain temps, personne n’osa l’aimer, tant il semblait probable que cet amour serait perdu, et qu’elle n’y répondrait pas.

L’autre, Adèle, était rose et blonde. Je n’ai jamais vu plus jolis cheveux dorés, plus gentils yeux, plus charmant sourire ; plutôt gaie que triste, plutôt petite que grande, plutôt potelée que mince : c’était quelque chose comme un de ces chérubins de Murillo, qui baisent les pieds des Vierges à moitié voilés par des nuages ; ce n’était ni une bergère de Watteau, ni une paysanne de Greuze, c’était quelque chose entre les deux, et participant des deux. Celle-là, on sentait qu’il était doux et facile de l’aimer, quoiqu’il ne fût point facile d’être aimé d’elle.

Son père et sa mère étaient de bons vieux cultivateurs, souche honnête mais vulgaire, de laquelle on était tout étonné que fût sortie une fleur si fraîche et si parfumée.

Au reste, il en était ainsi de tout ce monde enfantin ; c’était la jeunesse qui lui donnait sa distinction, comme c’est le printemps qui donne la fraîcheur aux roses.

Autour de celles dont je viens de faire le portrait, souriait et bourdonnait tout un essaim de jeunes filles, dont les plus petites se perdaient dans l’enfance ; génération que j’ai vue depuis succéder à celle avec laquelle j’ai vécu, et dans laquelle j’ai vainement cherché tout ce que je trouvais dans l’autre.

Avant l’arrivée des deux étrangères à Villers-Cotterets, je n’avais pas même remarqué cette couronne printanière à la quelle chaque classe de la société apporte, l’une son étoile, l’autre sa fleur.

Les deux étrangères parties, le bandeau que j’avais sur les yeux tomba, et je pus dire non-seulement : « Je vis, » mais encore : « J’existe. »

Je me trouvais justement placé par mon âge entre les enfants jouant encore aux barres et au petit palet, — comme