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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/214

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

que toutes ces barques lancées sur le fleuve du Tendre étaient gréées de voiles blanches et couronnées de fleurs d’oranger.

Et, chose plus singulière encore, c’était vrai pour la plus grande partie des dix ou douze couples amoureux qui formaient notre société.

J’attendis patiemment qu’un de ces nœuds se dénouât ou se rompit.

En attendant, j’étais de toutes les parties, de toutes les promenades, de toutes les contredanses ; c’était un excellent apprentissage qui me familiarisait d’avance avec le monstre que Psyché avait touché sans le voir, et que, tout au contraire d’elle, j’avais vu, moi, sans le toucher.

Le hasard me servit, après six semaines ou deux mois de surnumérariat. Une de ces liaisons, à peine nouée, se dénoua ; le fils d’un cultivateur, nommé Richou, avait songé à épouser sa voisine Adèle Dalvin. Les parents du jeune homme, plus riches que ceux de la jeune fille, mirent opposition à ces naissantes amours, et la belle blonde se trouva libre.

Pendant ces six semaines, j’avais beaucoup gagné en voyant faire les autres ; d’ailleurs, cette fois, je n’avais plus affaire à une Parisienne exigeante et railleuse, connaissant son monde autant que, moi, je le connaissais peu. Non, j’avais affaire à une jeune fille plus timide que moi, qui prenait au sérieux mes semblants de courage, et qui, pareille à cette grenouille de la fable qui saute dans son étang quand un lièvre effaré passe près d’elle, avait la bonté de me craindre et de me prouver qu’il était possible que je rencontrasse encore moins hardi que moi.

On comprend combien un pareil changement dans les positions me donnait d’aplomb. Aussi, les rôles étaient-ils complètement intervertis. Cette fois, j’attaquais et l’on se défendait, et même on se défendait si bien, que je compris bientôt que l’attaque était inutile, et qu’il y avait là une résistance sérieuse, qui pourrait céder peut-être devant un long et persévérant amour, mais qui ne se laisserait pas vaincre par un coup de main.

Alors commença pour moi cette première série de jours