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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/235

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Nous restâmes impassibles ; seulement, nous demandâmes indifféremment des nouvelles de Manceau.

Personne ne l’avait vu.

On se mit à table.

Le poulet était dur, disait Cécile ; on eût dit d’un vieux coq qui aurait chanté toute la nuit.

Augustine réclamait les grenouilles qu’elle avait vues, disait-elle, la veille à la cuisine. Avait-on changé leur destination ?… Les grenouilles étaient-elles perdues ?… Il fallait que les grenouilles se retrouvassent.

Louise demandait à Adolphe s’il n’était pas atteint d’une maladie contagieuse : depuis qu’il lui avait donné le bras pour passer dans la salle à manger, elle se sentait d’effroyables démangeaisons.

— Si Manceau était là, dis-je à Louise, tu pourrais lui demander une ordonnance pour les faire passer.

— Mais, en effet, dit madame Collard, où donc est Manceau ?

Même silence qu’à la première question.

La chose devenait grave, et l’on commençait à s’inquiéter du cher docteur. Cette absence n’était pas naturelle ; son habitude n’était point de s’absenter aux heures des repas.

On fit demander au concierge si Manceau n’était point sorti pour aller visiter quelque malade dans le village.

Le concierge n’avait pas aperçu Manceau.

— Moi, dis-je, je crois qu’il est noyé… Pauvre garçon !

— Et pourquoi cela ? demanda madame Collard.

— Parce que, hier au soir, il nous avait proposé une partie de bain ; mais nous avons si bien dormi, que nous avons manqué au rendez-vous qu’il nous avait donné dans sa chambre. Ne nous voyant pas venir, il aura été au bain tout seul.

— Oh ! mon Dieu ! dit madame Capelle, le malheureux docteur ! il ne sait pas nager.

Sur ces paroles, ce fut parmi ces dames un chœur de désolation, près duquel celui des Israélites exilés était bien peu de chose.

Il fut convenu qu’aussitôt après le déjeuner, on se mettrait à la recherche de Manceau.