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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/240

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Répète-moi donc un peu cela.

Et Adolphe avait répété complaisamment :

Pourquoi dans la froide Ibérie,
Louise, ensevelir de si charmants attraits ?
Les Russes, en quittant notre belle patrie,
Nous juraient cependant une éternelle paix !

— Il n’y a qu’un malheur, dit alors M. de Ribbing.

— Lequel ? demanda Adolphe.

— Oh ! presque rien… Tu as pris le Sud pour le Nord, l’Espagne pour la Russie.

— Ah ! s’écria Adolphe désespéré, c’est ma foi vrai !… J’ai mis Ibérie pour Sibérie.

— Je comprends, dit le comte ; cela fait mieux le vers, mais c’est moins exact.

Et, haussant les épaules, il s’éloigna en chantonnant un petit air, et en mâchant son cure-dent.

Adolphe était resté foudroyé. Il avait signé ce malheureux quatrain de toutes les lettres de son nom. Si l’album était ouvert, si le quatrain était lu, Adolphe était déshonoré !

Cette épée de Damoclès, suspendue sur la tête du pauvre poète, l’avait rendu soucieux pendant toute la soirée.

C’était pour arriver jusqu’à l’album de Louise qu’il avait tenté tous les efforts que j’ai racontés.

Mais on a vu que ses efforts avaient été infructueux :

La nuit venue, Adolphe avait pris une résolution désespérée : celle de pénétrer dans la chambre de Louise pendant son sommeil, de s’emparer de l’album, et de détruire la page accusatrice.

Cette résolution, vers onze heures, il l’avait mise à exécution.

La porte ouverte, sans trop grincer, avait donné passage à Adolphe, qui, le plus légèrement possible, sur la pointe du pied, n’ayant d’autre but, d’autre désir, d’autre espérance que d’arriver vers l’album, avait fait invasion dans la chambre virginale de sa jeune amie.