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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/241

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Tout avait bien été jusqu’à l’album. L’album, pris sur la table, serré par Adolphe contre sa poitrine, allait restituer, bon gré mal gré, les quatre vers qui rendaient leur auteur si malheureux, quand tout à coup Adolphe accroche un guéridon, qui tombe, et qui, en tombant, réveille Louise. Louise, réveillée, crie : « Au voleur ! » À ce cri : « Au voleur ! M. Collard, dont la chambre touche à celle de sa  Lille, saute, en chemise, à bas de son lit, se heurte sur le palier contre de Leuven, l’empoigne au collet, et, comme nous l’avons vu, le soupçonnant, pauvre innocent Adolphe, d’un tout autre crime, le fait entrer dans sa chambre. Son père entre à son tour, et ferme la porte derrière lui.

Là, tout s’était expliqué, grâce à l’album, qu’Adolphe n’avait eu garde de lâcher. M. Collard s’était convaincu de visu de l’erreur géographique qu’Adolphe avait commise ; il avait compris l’importance de cette erreur, et, rassuré sur l’intention, il l’avait été bientôt sur le fait.

Il en résulta que la réputation de Louise ni celle d’Adolphe ne reçurent aucune tache de cet événement.

Comme, le lendemain, on continuait à nous bouder, Hippolyte et moi, pour l’aventure de Manceau, nous quittâmes Villers-Hellon sans rien dire à personne, et nous prîmes le chemin de Villers-Cotterets.

Chose étrange ! depuis ce jour, je ne suis jamais rentré à Villers-Hellon.

Cette bouderie de jeunes filles a duré trente ans.

Une seule fois, j’ai revu Hermine, devenue madame la baronne de Martens, — à la répétition de Caligula.

Une seule fois, j’ai revu Louise, devenue madame Garat, — à un dîner donné à la Banque.

Une seule fois, j’ai revu Marie Capelle, un mois avant qu’elle devînt madame Lafarge.

le n’ai jamais revu ni madame Collard ni madame Capelle.

Toutes deux sont mortes.

Oh ! mais, malgré ces trente ans d’absence, quand je ferme les yeux, morts ou vivants, je revois tout cela.