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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/290

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

vous m’avez fait assez souffrir depuis trois ans que je suis en prison. C’est une scélératesse ! Nous sommes ici devant la justice, et non devant la police ! Qu’on me fusille plutôt sur l’heure, que de me livrer plus longtemps aux tortures auxquelles je suis en butte depuis trois ans ! Non, jamais on n’a vu pareille scélératesse dans les forteresses de la Prusse, dans les cachots de l’inquisition, sous les plombs de Venise ! On m’isole du monde ; on étouffe mes plaintes ; on défend à mon avocat de faire imprimer et de distribuer ma défense. Je lui témoigne ici, devant vous, toute ma reconnaissance pour son zèle et son dévouement ; seulement, je suis désespéré qu’il n’ait pas voulu baser sa défense sur les moyens que je lui ai donnés, mais il n’a pas osé le faire.

» Ici, on impose de nouveau silence à l’accusé. Alors, le président lit le jugement, par lequel le tribunal de police correctionnelle déclare son incompétence, et renvoie l’accusé devant les assises ; attendu que les faits dont il est prévenu, s’ils sont prouvés, constituent un crime, et non pas un simple délit.

» En entendant prononcer le jugement d’incompétence, l’accusé pousse de profonds soupirs ; sa physionomie, altérée par une longue captivité, exprime l’abattement et le désespoir.

» Cependant, il ranime ses forces, et s’écrie :

» — Les Bourbons ont eu le sang de vingt-neuf de mes parents morts pour eux en Vendée et à Quiberon ! Moi aussi, je dois leur être sacrifié à mon tour ! On veut me perdre, on veut étouffer mes gémissements, on veut dire que je suis fou ! Ruse infernale ! Non ; je ne suis pas fou ; non, je n’étais pas fou, alors qu’ils ont eu besoin de moi ! Français, je vous répète ce que je vous ai dit à la dernière audience : c’est le sang de Napoléon qu’on m’a demandé ! Écrivez-le à Vienne, à Munich, à Pétersbourg. Oui, oui, — repoussant les gendarmes, qui veulent le forcer à se taire, — oui, c’est le sang de Napoléon qu’on m’a demandé !… Monsieur le président, on me fait violence ! monsieur le président, on va me maltraiter ! monsieur le président, on va me mettre des fers aux pieds ! Mais n’importe, jusqu’au