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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/295

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

raire n’ont jamais pu influer, dans mon esprit, sur l’œuvre de mes confrères, que cette œuvre fût celle d’un ami ou d’un ennemi, d’un familier ou d’un inconnu.

Au reste, je n’ai pas besoin de dire que ni les Vêpres siciliennes, ni Louis IX, n’appartenant à cet ordre de littérature dont je devais être appelé un jour à sentir, à comprendre et à essayer de reproduire les beautés, je restai parfaitement froid devant ces deux tragédies, en accordant cependant une certaine préférence à Louis IX.

Je ne les ai jamais relues depuis, et probablement jamais je ne les relirai ; mais je suis certain que, si je les relisais, mon opinion sur elles serait aujourd’hui la même qu’à cette époque.

Quelle différence de cette sensation terne et monotone que je venais de ressentir, à cette ardente émotion que m’avait fait éprouver Hamlet, tout amoindri, tout désossé, tout énervé qu’il est par Ducis !

J’avais en moi l’instinct du vrai et la haine du convenu ; le vers de Térence : « Je suis homme, et rien de ce qui touche à l’humanité ne m’est étranger, » m’a toujours paru un des plus beaux vers qui aient été faits.

Du reste, j’allais pouvoir réclamer ma part de ce vers. Tous les jours, je devenais un peu plus homme ; ma mère seule continuait à me regarder comme un enfant. Aussi fut-elle bien étonnée, un soir, que l’heure à laquelle j’étais habitué de rentrer se passât sans que j’eusse reparu au logis ; et quand enfin, vers le jour, à trois heures du matin, je me glissai, tout joyeux, le cœur encore bondissant, dans ma chambre, que, depuis trois mois, dans la prévoyance de cet événement, j’étais parvenu à séparer de la sienne, trouvai-je ma mère en larmes, assise à ma fenêtre, d’où elle avait guetté mon retour, et prête à me faire toute la morale que méritait une rentrée si tardive ou plutôt si matinale !

Au bout de plus d’une année de soins, d’attentions, d’amour, de petites faveurs accordées, refusées, prises de force, la porte inexorable qui se fermait en me poussant dehors à onze heures s’était doucement rouverte à onze heures et demie,