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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

des verres et des parfums, le beau jeune homme couronné de myrte, la belle jeune fille couronnée de roses, le beau poëte couronné de lauriers, et les entraîne brutalement au tombeau, les yeux ouverts, le cœur palpitant, et les bras encore étendus vers la lumière, vers le jour, vers le soleil.

Ô Orcagna ! Orcagna, grand sculpteur, grand peintre, et surtout grand poëte, combien de fois, en serrant la main de l’enfant que j’aime, ou en baisant le front de la maîtresse qui me rend heureux, combien de fois ai-je tressailli ! car je voyais, avec les yeux de l’âme, passer à l’horizon cette Mort du campo-santo de Pise, sombre et menaçante comme un nuage ailé ; puis, le lendemain, j’entendais dire : « Il est mort ! » ou : « Elle est morte ! « et c’était presque toujours un jeune génie qui s’était éteint, une jeune âme qui était remontée à Dieu.

Voilà donc le monde que de Leuven avait vu pendant son voyage à Paris, et il m’apportait à moi, pauvre provincial, perdu dans les profondeurs d’une petite ville, un reflet de ce monde resplendissant et inconnu.

De Leuven avait fait plus que voir : il était entré dans le tabernacle, il avait touché l’arche ! Il avait été admis à l’honneur d’une lecture devant M. Poirson, grand prêtre du Gymnase, et devant M. Dormeuil, son sacristain. Il va sans dire que la pièce lue avait été refusée ; mais, — comme au caillou qui s’approche de la rose, et à qui il reste le parfum de la reine des fleurs, — de sa pièce refusée, il était resté à de Leuven des entrées dans les coulisses.

Oh ! les entrées dans les coulisses, la chose la plus ennuyeuse qu’il y ait au monde pour ceux qui les ont, la chose la plus ambitionnée sur la terre par ceux qui ne les ont pas !

Mais Adolphe les avait eues si peu de temps, que l’ennui n’avait pas eu le loisir de naître, et qu’il ne lui en était resté que l’éblouissement.

Cet éblouissement, il me l’apportait. À cette époque, Perlet était dans tout son talent, Fleuriet dans toute sa beauté, Léontine Fay dans toute sa vogue.

La pauvre enfant, — nous parlons de cette dernière, — on