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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/69

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Écoute, mon enfant, me dit-elle, nous allons faire une chose qui peut cruellement nous compromettre ; mais je crois que nous devons à la mémoire de ton père de faire cette chose.

— Alors, ma mère, répondis-je, faisons-la.

— Tu ne diras jamais à personne ce que nous allons faire, n’est-ce pas ?

— Si tu me le défends.

— Oui, je te le défends expressément.

— Sois tranquille alors.

— Eh bien, habille-toi.

— Pourquoi faire ?

— Nous allons à Soissons.

— Ah ! vraiment ?

C’était toujours une grande fête pour moi que d’aller à Soissons. Soissons, ville de guerre de cinquième ou sixième ordre, était une capitale à mes yeux. Ces portes avec des herses de fer, ces remparts que j’allais revoir, criblés des boulets de la dernière campagne, cette garnison, ce bruit d’armes, ce parfum de combat, tout cela avait pour mon jeune cœur des enivrements tout particuliers.

Puis j’avais dans le fils du concierge, — j’en demande pardon à mes connaissances aristocratiques d’aujourd’hui, — j’avais dans le fils du concierge de la prison un bon camarade, qui, lorsque j’allais le voir, me faisait frissonner en me conduisant dans les plus beaux cachots de son père.

Aussi, ma première visite était-elle toujours pour lui, et je crois que, si je retournais à Soissons, la chose dont je m’informerais avant toute autre, c’est de ce qu’il est devenu, afin de ne pas déroger à mes anciennes habitudes.

Il se nommait Charles.

Cette nouvelle, que nous allions à Soissons, était donc pour moi une bonne nouvelle. Je montai à ma chambre ; je m’habillai le plus lestement que je pus, et je descendis.

Une petite voiture bâtarde, tenant le milieu entre le cabriolet et le tilbury, et qui appartenait à un loueur nommé Martineau, nous attendait à la porte.