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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/71

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Comme on le comprend bien, c’était la préoccupation du moment. Il n’y avait peut-être pas, dans toute la ville de Soissons, une maison où l’on tint à cette heure une autre conversation que celle que nous venions de mettre sur le tapis.

L’entrée des trois cabriolets et de leur escorte avait fait une sensation non moins vive à Soissons qu’à Villers-Cotterets. Seulement, Soissons, au lieu d’être royaliste, comme son chef-lieu de canton, était bonapartiste.

C’est tout simple. Soissons, ville de guerre, devait recevoir ses opinions politiques de l’armée.

Notre hôte, particulièrement, regrettait beaucoup le gouvernement tombé ; il s’était donc fort inquiété des pauvres conspirateurs, et pouvait nous donner sur eux les renseignements que ma mère désirait.

Ils avaient été conduits à la prison de la ville. Ma mère respira et laissa échapper ces mots :

— Ah ! tant mieux ! je craignais qu’ils ne fussent à la prison militaire.

C’est là, en effet, qu’on eût dû les conduire ; mais on connaissait l’esprit des soldats. La défection du 7e de ligne, le passage sous les drapeaux de Napoléon des différents corps qu’on avait envoyés contre lui, donnaient des inquiétudes que l’avenir prouva n’être point exagérées. Il en résulta que l’on crut les conspirateurs mieux enfermés dans la prison civile que dans la prison militaire.

J’écoutais tous ces détails avec la plus grande attention. Je m’étais bien douté que notre voyage à Soissons avait quelque rapport avec l’événement qui préoccupait tout le monde ; les questions de ma mère à notre hôte m’affermirent dans cette opinion.

D’ailleurs, je n’eus pas longtemps à demeurer dans le doute. À peine fut-il sorti, que ma mère, regardant si nous étions bien seuls, m’attira à elle, et m’embrassa. Je la regardai. Il y avait dans cet embrassement quelque chose de particulier, presque de solennel.

— Écoute, mon enfant, dit-elle, j’ai peut-être eu tort de prêter les mains à une pareille entreprise ; mais, quand j’ai vu