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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

passer ces pauvres amis à nous, quand j’ai reconnu sur leurs poitrines, qui, dans trois jours peut-être, seront percées de dix balles, ce même uniforme de général que portait ton père, il m’est passé par l’esprit de venir avec toi à Soissons, et de t’envoyer jouer, comme tu as l’habitude de le faire, avec le fils du concierge de la prison ; et, une fois là…

Ma mère s’arrêta.

— Et une fois là ? lui demandai-je.

— Voyons, reprit ma mère, te rappelles-tu bien la figure des prisonniers ?

— Oh ! maman, non-seulement je les vois encore, mais je crois que je les verrai toujours.

— Eh bien, il est probable que l’un ou l’autre des trois prisonniers couchera dans la chambre qu’on appelle la pistole… Sais-tu ce que c’est que la pistole ?

Ma mère m’attaquait par mon fort. Si je savais ce que c’était que la pistole, moi qui connaissais tous les coins et recoins de la prison !

— La pistole, repris-je, je crois bien que je sais ce que c’est ! C’est une chambre qui donne dans la salle à manger du concierge, et où l’on met les prisonniers qui veulent la payer quarante sous.

— C’est cela ! Eh bien, il est probable, comme je te le disais, que l’un ou l’autre des trois prisonniers aura été mis à la pistole ; il est probable encore que ce sera l’aîné des frères Lallemand, à qui les autres auront concédé cette douceur ; il est probable, enfin, que la porte de la pistole, donnant dans la grande salle où mange le concierge, demeurera ouverte… Eh bien, en jouant avec ton petit camarade dans la grande salle, tu trouveras moyen d’entrer dans la pistole, et alors tu donneras, sans être vu, ce paquet à celui des trois prisonniers qui sera à la pistole.

— Je le veux bien.

— Seulement, tu prendras bien garde, mon enfant.

— À quoi ?

— À ne pas te blesser.

— À ne pas me blesser ! qu’y a-t-il donc dans ce paquet ?