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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/82

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

lui gardait deux choses qui tuent vite : un soleil trop froid et un amour trop brûlant.

Était-ce pour endormir sa propre douleur que cet homme tout-puissant essaya de mentir, en annonçant à la France que son enfant allait lui être rendu ? S’abaissait-il à feindre l’alliance de l’Autriche pour rassurer les cœurs tremblants ?

C’est qu’il n’était pas au bout de son œuvre ; c’est qu’après avoir repris la France, il lui restait l’Europe à combattre.

Ce qui faisait dire instinctivement à cette femme qui avait insulté le général Lallemand, au moment où il traversait Villers-Cotterets, libre et triomphant : « Sois tranquille, brigand ! notre tour reviendra ! »

En attendant, il se passait une chose singulière : c’est que, menacés chaque jour par les royalistes, nous avions fini, ma mère et moi, par désirer ce triomphe de l’empereur, et qu’en somme, pour nous qui n’avions aucune raison d’aimer cet homme, sa rentrée aux Tuileries était devenue un événement heureux.

Cependant il faut rendre justice aux bonapartistes du département de l’Aisne, et à ceux qu’on avait forcés de le devenir : leur triomphe fut calme, et, au lieu d’en faire grand bruit, comme eussent certainement fait les royalistes, ils avaient presque l’air d’en demander pardon.

D’ailleurs, on ignorait ce qui allait advenir de tous ces événements. À la première invasion, l’ennemi était bien venu de Moscou à Paris, c’est-à-dire de six cents lieues ; à la seconde, il viendrait bien de Bruxelles, c’est-à-dire de soixante.

Nous étions sur cette route, à deux journées de Paris, mais à trois journées seulement des Hollandais et des Prussiens.

Il est vrai que les nouvelles étaient bonnes. L’empereur ne paraissait nullement inquiet.

Le 4 avril, il avait écrit aux souverains alliés une lettre autographe, dans laquelle il leur annonçait son retour à Paris, et son rétablissement à la tête du peuple français, avec un naturel charmant, et comme si ce n’était pas la révolution européenne qu’il proclamait.

Le 6, il avait visité le Muséum, pour voir sans doute quelles