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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/85

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

derniers accords de leur musique moururent ; cette musique jouait, je me le rappelle, l’air de Veillons au salut de l’empire…

Puis on annonça, dans les journaux, que Napoléon quitterait Paris le 12 juin, pour se rendre à l’armée.

Napoléon suivait toujours le chemin qu’avait suivi sa garde ; Napoléon passerait donc par Villers-Cotterets.

J’avoue que j’avais un immense désir de voir cet homme, qui, en pesant sur la France, avait particulièrement, et d’une façon si lourde, pesé sur moi, pauvre atome, perdu parmi trente-deux millions d’hommes, et qu’il continuait d’écraser tout en oubliant que j’existasse.

Le 11, on reçut la nouvelle officielle de son passage ; les chevaux étaient commandés à la poste.

Il devait partir de Paris à trois heures du matin : c’était donc vers sept ou huit heures qu’il traverserait Villers-Cotterets.

À six heures, j’attendais au bout de la rue de Largny avec la partie de la population la plus valide, c’est-à-dire celle qui avait la faculté de courir aussi vite que les voitures impériales.

En effet, ce n’était pas à son passage qu’on pouvait bien voir Napoléon, c’était au relais.

Je compris cela, et à peine eus-je aperçu, à un quart de lieue à peu près, la poussière des premiers chevaux, que je pris ma course vers le relais.

À mesure que j’approchais, j’entendais gronder derrière moi, se rapprochant aussi, le tonnerre des roues.

J’arrivai au relais. Je me retournai, et je vis accourir comme une trombe ces trois voitures qui brûlaient le pavé, conduites par des chevaux en sueur, et par des postillons en grande tenue, poudrés et enrubannés.

Tout le monde se précipita sur la voiture de l’empereur.

Je me trouvai naturellement un des premiers.

Il était assis au fond, à droite, vêtu de l’Uniforme vert à revers blancs, et portant la plaque de la Légion d’honneur.

Sa tête pâle et maladive, qui semblait grassement taillée