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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/86

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

dans un bloc d’ivoire, retombait légèrement inclinée sur sa poitrine ; à sa gauche, était assis son frère Jérôme ; en face de Jérôme, et sur le devant, l’aide de camp Letort.

Il leva la tête, regarda autour de lui et demanda :

— Où sommes-nous ?

— À Villers Cotterets, sire, dit une voix.

— À six lieues de Soissons, alors ? répondit-il.

— À six lieues de Soissons, oui, sire.

— Faites vite.

Et il retomba dans cette espèce d’assoupissement dont l’avait tiré le temps d’arrêt qu’avait fait la voiture.

Pendant ce temps, on avait relayé ; les nouveaux postillons étaient en selle ; ceux qui venaient de dételer agitaient leurs chapeaux en criant : « Vive l’empereur ! »

Les fouets claquèrent ; l’empereur fit un léger mouvement de tête qui équivalait à un salut. Les voitures partirent au grand galop et disparurent au tournant de la rue de Soissons.

La vision gigantesque était évanouie.

Dix jours s’écoulèrent, et l’on apprit le passage de la Sambre, la prise de Charleroi, la bataille de Ligny, le combat des Quatre-Bras.

Ainsi le premier écho était un écho de victoire.

C’était le 18, jour de la bataille de Waterloo, que nous avions appris le résultat des journées du 15 et du 16.

On attendait avidement d’autres nouvelles. La journée du 19 se passa sans en apporter : l’empereur, disaient les journaux, avait visité le champ de bataille de Ligny et fait donner des secours aux blessés.

Le général Letort, qui était en face de l’empereur dans sa voiture, avait été tué à la prise de Charleroi.

Jérôme, qui était à ses côtés, avait eu la poignée de son épée brisée par une balle.

La journée du 20 s’écoula lente et triste : le ciel était sombre et orageux ; il était tombé des torrents de pluie, et l’on disait que, par un semblable temps, qui durait depuis trois jours, sans doute on n’avait pu combattre.